Pour les 20 ans de l’association des éditeurs des Hauts-de-France,
il a été conçu un livre qui parle du livre, les coulisses de la création d’un livre.
Ces textes sont d’éditeurs, d’éditrices. J’ai écrit sur le mot illustrer, voici mon texte…
Les images dans l’édition, quelles sont-elles ? A quoi servent-elles ?
Je ne vais pas chercher à définir ce qu’est une image mais plutôt son rôle dans un livre et comment l’éditrice fera un choix plutôt qu’un autre. Il existe deux grandes catégories d’images dans l’édition : l’image fixe, destinée aux éditions papier et les images animées pour les éditions numériques. Je m’attarderai sur les images fixes ayant une édition de livres papier. Et oui je vous parlerai de la création pour les livres jeunesse puisqu’Obriart est spécialisé dans ce domaine. Mais le processus créatif est le même pour d’autres catégories d’images.
Si je devais vous faire une courte liste du type d’images que l’on retrouve dans un livre, ce serait celle-ci :
- l’image de la couverture,
- les dessins graphiques,
- l’iconographie,
- l’image créative (illustration, bande dessinée, photographie, dessin)
- j’ajouterais la composition graphique (le mot devient visible plus que lisible, alors la composition de mots devient image).
Le livre incarne un propos. C’est une trace, un objet palpable qui véhicule des idées pour que le public s’en saisisse. L’éditrice, lorsqu’elle décide de faire un livre choisit bien entendu le texte mais également les images ; et dans le cas de figure des images créatives, elle choisira les artistes qui correspondront le mieux. Mais comment ?
L’image est faite pour être vue, mais doit-elle être comprise ? J’entends par là, doit-elle forcément n’avoir qu’un seul niveau de lecture ? Eh bien cela dépend. Est-ce qu’elle informe ? Est-ce une copie brute de la réalité auquel cas, elle sert à illustrer un texte et n’a pas en soi de discours propre. Ou bien l’image a-t-elle plusieurs portes d’entrée, plusieurs sens de lecture ? Elle a alors son propre discours et pourra être en dialogue avec un texte. L’image a-t-elle un genre et doit-il y avoir une création par tranche d’âge ? Pour ma part, je ne le pense pas. Est-ce qu’un artiste des siècles derniers en peignant ses tableaux pensait à la destination de son œuvre ou bien, s’attardait-il plus au propos et comment le rendre visuellement ? Il me semble que chacun, peu importe son âge, voyait les tableaux et comprenait ce qu’il pouvait selon sa culture.
L’image est une parole, un langage en soi, mais que sont les images sans leurs auteur.es.
Lorsqu’une personne est dans sa création, il.elle parle avec ses tripes, son langage, son vécu, en quelques mots ce qu’il.elle est. Parfois ce qu’il.elle va faire ne va pas être compréhensible par le public. C’est là où l’éditrice intervient. Non pas pour lisser, la personnalité de l’auteur.e qui doit toujours être présente, mais la rendre accessible pour une expérience de lecture. En tant qu’éditrices, nous avons une vision d’ensemble du projet. Nous sommes, selon moi, le trait d’union entre la création de l’auteur.e et le public.
L’image créative est un langage en soi, c’est un propos qui peut vivre seul ou bien venir au regard d’un écrit. Lorsque nous avons un projet éditorial, nous allons donc chercher la personnalité qui sied au projet. Alors commencera un travail entre l’auteur.e et nous.
Je prendrai pour exemple le travail pour un album illustré. J’ai reçu le texte et l’ai découpé pour savoir quelle partie du texte ira sur quelle page. Je fais un chemin de fer (c’est une vue d’ensemble des pages qui composent le livre et cela fait penser à des rails) et je crée un rythme de doubles pages et de pages simples. Le texte sera mis au regard de chaque page. Le tout est donné à l’illustrateur.trice qui commencera par chercher les personnages en s’appuyant sur des indications qui ne sont pas écrites dans le texte. Par exemple, pour illustrer Andromède de l’album ‘Persée et Andromède’, l’auteure Anastasia Ortenzio m’avait fait savoir qu’Andromède voulait dire meneuse d’homme. Il allait donc de soi que ce personnage devait avoir du caractère et non pas l’image que tant de peintres ont pu dépeindre, c’est-à-dire celle d’une femme blanche lascive attendant son destin. Cette information, entre autres, a été donnée à l’illustratrice Camille Gonzalez pour qu’elle puisse construire le personnage.
Donc, la première étape est de trouver les personnages et des crayonnés sont faits. Après avoir été validés, l’illustrateur-trice fait un crayonné de l’histoire, de ce qu’il y aura à chaque page. Les couleurs, les matières, la technique, tout a été vu en amont. Ce travail est une forme de balisage pour éviter de faire recommencer. Alors commence la réalisation des images.
Pour ma part, je n’aime pas qu’un texte vienne se planter sur une image. Les deux parties doivent être réfléchies en amont également. Le texte doit s’imbriquer dans l’image, le tout en formant une nouvelle. Le choix de la typographie (le dessin de la lettre) permettra d’accentuer une émotion. Ce choix-là est important également. Tout élément d’un livre doit être pensé comme un tout pour mettre en valeur le travail des auteur.es et pour offrir un bel objet au lecteur afin qu’il vive une expérience de lecture. D’ailleurs, la première expérience visuelle d’un livre est celle de la couverture. Elle sert à la fois d’appel du pied, du genre ‘hé regarde-moi. Prends-moi dans les mains’ (n’oublions pas que nous voulons vendre le livre et qu’il sera parmi plein d’autres) et il doit donner quelques indices sur ce que l’on trouvera dedans sans tout dire. Pour ma part, je n’aime pas une couverture ‘mensongère’. Lorsque je prends dans les mains le livre à la couverture séduisante (de par l’image et le titre) qui par exemple serait en couleur et qu’en ouvrant le livre je me retrouve avec des pages en noir et blanc, je repose le livre. Une image en noir et blanc peut être tout aussi séduisante que celle en couleur. Certaines éditrices conçoivent une couverture comme image identifiable de leur maison d’édition plutôt qu’un choix de mise en valeur du travail que l’on trouvera dedans. Dans tous les cas, la couverture a un rôle à la fois commercial et de séduction.
Dans un livre, l’image et le texte sont en dialogue, l’un ne prime pas sur l’autre. Une image peut être très complexe à comprendre si nous n’en avons pas les codes. Pour exemple, les tableaux de natures mortes des siècles derniers qui regorgent de symboles et de second degré qu’il nous serait difficile de comprendre aujourd’hui sans une personne qui nous les explique.
Vous l’aurez compris, l’image est pour moi primordiale et je ne la vois pas comme une sous-catégorie mais bien un langage en soi qui sera sublimé par la personnalité et la culture de son auteur.e.
Cyprienne Kemp
Nota bene : lorsque j’écris éditrice, j’inclue bien évidemment les éditeurs.
Pour lire l’ensemble du livre, voici le lien